Des choses surprenantes peuvent naître de la rencontre des arts. Et rien n’est définitif. C’est un vécu que nous offre l’exposition photo "Bruit et murmure de la rue" de Nikolaï Vassilev qui nous fait voyager dans le temps.

Dans la librairie-galerie "Sofia Press", au milieu des œuvres remarquables du photographe, l’Académie de photographie "Yanka Kurktchiéva" a remis les distinctions aux vainqueurs de la 9^e édition du concours d’analyse artistique de photographie "Les photos parlent" 2025. Les participants étaient invités à créer des histoires inspirées par les instants capturés dans des villes à travers le monde des années 60, 70 et 80 du siècle dernier.

"Le fait que les participants abordent le sujet de manière approfondie et analytique, en faisant preuve d’une concentration et d'un désir de comprendre l’art, laisse une très bonne impression", indique Olympia Nikolova, théoricienne de l’art et membre du jury. "C’était cela l’objectif quand nous avons accepté l’idée de notre collègue, le photographe Dénis Boutchel, d’organiser ce concours. Il y a beaucoup d’interprétations différerntes : des impressions poétiques aux histoires racontées ou réécrites. Il y a d’autres personnes qui analysent le sujet, les personnages, les situations avec une très profonde sensibilité et connaissances sur le temps et l’époque."

La façade d’une maison couverte de faire-parts de décès et à côté un kiosque à journaux . Cette image, un cliché de la ville de Dragoman, a inspiré la vainqueur, l’architecte Katérina Moutafova, qui fait allusion à la célèbre sentence de Vassil Levski: "Le temps est en nous et nous sommes dans le temps".

L’Académie a choisi les photos d’un des doyens de la photographie bulgare Nikolaï Vassilev pour cette édition du concours non seulement par respect pour son expérience artistique de près de 65 ans. La nostalgie d’un monde inconnu et méconnaissable et le recul dans le passé respirent parfois la mélancolie. Si pourtant quand on se met devant une photographie, elle peut nous emmener dans plusieurs directions :

"L’esprit capturé des différentes époques dans cette longue période de temps où les photos ont été prises, les différents endroits et cultures est la base des interprétations des auteurs", explique Anton Savov, président de l’Académie. "Nikolaï Vassilev présente des reportages photographiques authentiques des endroits où il a voyagé car c’est cela le métier d’un journaliste photographe : rechercher ce qu’il y a d’intéressant dans le temps quand il a été le témoin d’un événement et le capturer pour les générations à venir. Quant au format "Les photos parlent", son objectif est de jeter un pont entre deux arts, très différents l’un de l’autre mais également inextricablement liés. En effet, ceux qui écrivent voient des images dans leur esprit, alors que les photographes prennent des images qui racontent des histoires."

En sélectionnant des photos qui se prêteraient à l’analyse, Nikolaï Vassilev part de l’idée qu’il doit y avoir quelque chose qui se passe comme par exemple des gens qui s’adonnent à leur loisir favori, jouer au pachinko dans une salle de jeux à Kyoto, où des nouveaux recrues à la gare "Sofia Nord" qui partent pour la caserne.

"Ici on voit l’inscription "Le travail fastidieux tue!" sur les dalles du trottoir", indique le photographe en s’arrêtant devant un de ses clichés. "C’est un abribus derrière l’Université de Sofia. J’étais assis sur le banc et j’attendais que quelqu’un passe pour que la photo ne soit pas qu’une reproduction de la silhouette humaine qui a été dessinée sur le sol.

Une autre photo lui a valu trois heures passées à la milice.

"C’était en novembre ou en décembre 1963, à Sofia", se rappelle Nikolaï Vassilev. – "Une neige mouillée tombait sur les Halles et j’étais sorti prendre des photos. J’ai pris quelques clichés des gens se basculant pour entrer dans un tram bondé. Alors, je me suis aperçu de la vendeuse de billets de lotterie qui s’emmitouflait dans des écharpes déchirées. Pendant que je visais avec mon appareil photo, deux agents de la milice de l'époque se sont emparés de moi et m’ont emmené dans la direction du ministère de l’Intérieur à Sofia où il m’ont posé la même question pendant 3 heures : "Qui te paie pour prendre ce genre de photos?" Dieu merci, ils n’ont pas saisi ma pellicule, ce qui fait qu'on peut voir la photo aujourd’hui."

Est-ce que sa perception des photos coïncide avec celle des auteurs des histoires ?

"Oui, ils voient ce qu’il y a sur les photos et interprètent à leur manière ce qu’ils on vu", répond le photographe. "Je vais me permettre de citer Bernard Show qui, à l’époque, quand il publiait ses œuvres, attendait les critiques pour savoir ce qu’il a voulu dire. Ici, j’endosse plus ou moins le même rôle. Je trouve cela très intéressant et je lirai attentivement tous les commentaire pour savoir ce que j’ai voulu dire."

Si l'on évoque les mots du célèbre photographe américain Ansel Adams, il y a dans chaque photo au moins deux protagonistes : celui qui l’a prise et celui qui l’observe. Les visiteurs de l’exposition peuvent y ajouter également leur propre interprétation...

Version française : Maria Stoeva

Photos : Diana Tsankova, librairie-galerie "Sofia Press"