Enième calamité naturelle, énièmes analyses et mesures prises après coup par les institutions responsables. L’inondation du village de vacances "Elénité"  qui a fait 4 victimes la semaine dernière a subitement fait réaliser aux autorités que l’hôtel et le parc aquatique inondés étaient construits illicitement sur le lit d’une rivière. Mais ce n’est pas ce qu’avaient pensé il y a des années les institutions responsables des permis de construire qui ont "effacé" la rivière des cartes et ont classé cette zone propriété privée, alors qu’avant elle était propriété publique.

Finalement le dénouement est positif, bien qu’il arrive avec quelques années de retard : les bâtiments construits illicitement dans le lit d’une rivière seront abattus, ont promis le ministre du Développement régional et de l’Aménagement Ivan Ivanov et la Direction de contrôle national du bâtiment. Tout de même, comment délivre-t-on les permis de construire en Bulgarie, est-il fréquent de construire dans les lits de rivières et comment est-ce possible de légaliser des infractions aussi frappantes ?

"Avec des pots-de-vin" : telle est la réponse aussi directe que laconique de l’ingénieur Dimitar Koumanov de l’ONG "Balkanka" qui lutte pour la préservation des rivières en Bulgarie :

Je ne peux pas dire qu’on construit partout sur des rivières en Bulgarie, mais c’est un phénomène très fréquent. Nous pouvons bien dire que c’est illégal, et c’est effectivement une violation de nombreux textes de loi, mais il faudrait que le parquet entame une procédure judiciaire et que le tribunal se prononce sur cette illégalité. Mais cela n’arrivera pas chez nous. Il y a bien trop d’organismes de l’État qui ont rendu cela possible.

Ces constructions illicites sur le littoral de la mer Noire sont un crime, non seulement aux termes du Code pénal, mais aussi un crime contre le bon sens et sont rendues possibles par les architectes qui les ont autorisées, souligne Koumanov. Comment ce type de construction se produit-il ?

Il y a deux sortes de corruption en Bulgarie. L’une est directe : c’est quand l’investisseur s’entend avec le maire, l’architecte en chef, et même avec le conseil municipal si nécessaire. L’autre est ce que j’appelle « corruption pat téléphone », c’est quand un supérieur téléphone à ses subordonnés et leur dit : "Vous recevrez la visite de quelqu’un qui m’est proche, il faudra arranger les choses". Mais cela ne peut pas être prouvé, parce que l’omerta (loi du silence dans la mafia) est en place. Et en fin de compte il apparaît que tous ces organismes du pouvoir central et local ont autorisé la construction sans qu’il y ait eu des pots-de-vin.

Dimitar Koumanov cite aussi l’exemple de Sofia où des lits de rivières sont obstrués par des montagnes de déchets du BTP. En outre de nombreuses rivières dans tout le pays ne sont pas marquées dans les données de cadastre, et certaines passent aussi par des propriétés privées, ce qui peut causer de sérieux problèmes à l’avenir.

Pour résumer, la responsabilité est diluée entre les diverses institutions concernées, mais elles sont toutes coupables d’avoir autorisé une construction illicite. Par exemple dans le cas du complexe "Elénité", quelqu’un a cédé des territoires forestiers publics à un investisseur privé. Ensuite le cadastre a dissimulé le fait qu’une rivière passait par cette zone et le terrain est finalement déclaré approprié pour des travaux de construction. Puis, sur la base de ces données erronées, on établit un plan détaillé d’aménagement que la municipalité dépose à l’Inspection régionale de l’Environnement et des Eaux, laquelle le transmet à la Direction des bassins d’eau. Une fois que toutes ces institutions ont donné leur feu vert, on passe à l’établissement d’un projet, qui est déposé à la municipalité pour autorisation de l’architecte en chef et le permis de construire est délivré. Aux dires de l’ingénieur Koumanov, tout ce processus rend impossible qu’une personne ou une institution donnée endosse la responsabilité.

Ivan Guergov

Version française et publication : Christo Popov

Photos : BTA, RNB - Annie Pétrova, BGNES, RNB - Bourgas