"Convulsions au passage vers un monde multipolaire – époque des saintes illusions et de la vérité impie", tel est le titre d’un nouveau livre qui sera présenté début novembre à Sofia. Titre évocateur puisque l’on y parle de l’agonie du monde unipolaire : époque de transformations géopolitiques et de monstres du Mal ressuscités. Cette étude dans la veine de la philosophie politique est signée du professeur Ivaylo Grouev,  enseignant en sciences politiques à l’université d’Ottawa, ayant des publications au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. Auteur de livres et de manuels en sciences politiques, en 2012, le savant bulgare est lauréat du prix du Premier ministre pour l’excellence dans l’enseignement. Et en 2017, lui est décernée la médaille à l’occasion du 150-ème anniversaire de la feuille d’érable.

"L’accouchement de ce monde nouveau n’est pas près d’aboutir, je crains que cela va prendre encore un certain temps", a précisé au micro de Radio Bulgarie le prof. Ivaylo Grouev, qui se souvient des années, quand s’affirmait le système unipolaire, en agonie actuellement.

"Aussi étrange que cela puisse paraître, son berceau, c’est les Balkans, pas loin de Sofia, au Kosovo. C’est là-bas que le 23 mars 1999 la soi-disant "alliance défensive" de l'OTAN déploie mille avions militaires qui, pendant 78 jours ont pilonné le Kosovo, pour cause du génocide de la population albanaise dans une Yougoslavie démembrée. Le monde unipolaire, il est né comment ? Tout commence par le déni du droit international, et de l’institution qui l’incarne: les Nations Unies. Le Kosovo n’a servi que de "projet pilote", juste pour tester la réaction face à l’agression des trois forces majeures : la Chine, La fédération Russe d’alors et, évidemment, l’opinion publique aux États-Unis. Or, on a constaté que cette guerre n’a pas dépassé la limite de tolérance mondiale, ni provoqué la colère de la société civile. Du coup, quelques années plus tard, en 2003, est menée déjà une opération militaire de grande échelle – en Irak, sous prétexte d’"armes de destruction massive", que, en réalité, on l’a bien compris, cet État n’a jamais eues. Viennent ensuite la Libye, la Syrie, l‘Ukraine…"

Le professeur Grouev est sceptique au sujet d’une fin prochaine du conflit dans une autre zone de tension : la bande de Gaza.

"Le discours des médias contrôlés au sujet de ce conflit est sensiblement biaisé, on ne dit pas franchement et sans parti pris, ce qui se passe à Gaza. Début septembre, la CBS a indiqué le nombre d’enfants victimes de l’armée israélienne : plus de 20 mille. Cette nouvelle n’a pas suscité l’intérêt du milieu des journalistes en Bulgarie, ainsi qu’en Europe, sauf à quelques exceptions aux États-Unis."

Est-ce que la Bulgarie s’adapte aux processus géopolitiques, ou bien, nous sommes trop focalisés sur nos propres secousses politiques ? Notre pays, joue-t-il un rôle actif dans les rapports internationaux ?

"L’État bulgare est actuellement isolé dans une chambre froide. Le monde entier l’ignore totalement. Aux yeux des principaux centres géopolitiques du globe, les États-Unis, la Chine, la Russie, la Bulgarie n’existe pas", constate avec amertume le savant. Et il rappelle le fait que depuis des mois "nous n’avons plus d’échanges diplomatiques avec la capitale de la force dominante, Washington. La Bulgarie n’a pas d’ambassadeur, les Américains n’ont pas envoyé le leur non plus. Le comportement de Donald Trump-junior de passage chez nous dit beaucoup à ce sujet.

"Nous sommes dans la périphérie de la périphérie du centre des événements, et c’est valable pour l’Europe mais aussi à l’échelle mondiale", déclare le professeur dont le pronostic est que l’État est au seuil d’un revirement :

"Je suis optimiste, parce qu‘actuellement il se passe des choses sans précédent à tous points de vue et au-delà de la politique mondiale. En l’occurrence, l’unique solution pour nous qui permettrait de passer le cap en tant que nation et État, c’est une refonte  fondamentale de ce qu’on appelle le Cinquième État. Le défaut majeur de l’élite bulgare, c’est l’absence de vision, de programme orienté vers le futur – le parlement n’en discute jamais. Je me retiens de commentaire sur les faits et gestes des députés, mais de temps en temps quand je regarde la télévision bulgare, j’ai l’impression que ces personnes sont plutôt préoccupées de chatter sur leurs téléphones. Les députés affichent un désintérêt total pour les affaires publiques, en contrepartie de leurs profits personnels", déclare Grouev.

"Je sais que c’est difficile, mais il faudra bien accepter la réalité quelle qu’elle soit, et tenter tous ensemble par nos propres forces, de la faire changer. Sinon nous vivrons dans un "dreamworld", un univers fantasmé, qui n’a rien à voir avec la réalité ", est catégorique le professeur Grouev, à propos de son nouveau livre "Convulsions au passage vers un monde multipolaire – époque des saintes illusions et de la vérité impie", paru aux  éditions "Iztok-Zapad"/Est-Ouest/.

Version française : I. Batalov

Photos : BTA