Comment les spécialités culinaires de nos aïeules reflètent-elles les dialectes bulgares et vice versa ? Aussi improbable que cela paraisse, c'est justement ce que nous découvrons en « feuilletant » la Carte culinaire interactive de l’Institut de langue bulgare auprès de l’Académie bulgare des Sciences. Grâce à une galerie de photos et des articles en bulgare aussi bien qu’en anglais, cette carte nous renseigne non seulement des patois et de la gastronomie ancienne mais aussi de la vie et des coutumes des Bulgares d’aujourd’hui.
« C'est bien plus qu’une simple carte linguistique ou culinaire », nous a confié la directrice du projet, la professeure Anna Kovatchéva. « Ce que nous avons obtenu est une vraie biographie des Bulgares des petites agglomérations des années 20 du XXI siècle. On nous accueillait en tenue traditionnelle authentique tout en cuisinant ou décrivant un plat. On chantait même parfois des chansons de son village natal. Nous avons donc observé un respect des traditions, une persistance du régime alimentaire traditionnel adapté au calendrier orthodoxe mais ce que les Bulgares apprécient pardessus tout est de se réunir en famille autour d’une bonne table. Cette carte montre ainsi des traditions bulgares très bien préservées qui règlent non seulement les jours de fête mais aussi le quotidien. »
Même en se considérant comme d’excellents dialectologues, les chercheurs se sont heurtés à des surprises. A Bansko par exemple, on appelle tchoumlek (jambonneau de porc à pommes de terre cuit dans un pot d’argile) un mets traditionnel dont la première syllabe s’écrit d’habitude avec un o, la raison étant que ce plat aurait la vertu de chassait la peste (tchouma) grâce aux ingrédients : la viande, les légumes mais surtout l’ail.
En dépit de l’idée que le lard serait mauvais pour la santé, en plus de figurer dans les recettes, les lardons ont presque 20 appellations différentes. Les lardons frits sont même contenus dans les desserts. Dans le village de Gumoshtnik situé dans la région de Troyan par exemple, on s’en sert pour préparer du blé servi lors des mariages, tandis que dans la région historique de Banat, lieu de résidence de Bulgares catholiques au sein de l’Empire austro-hongrois qui est aujourd’hui compris dans les territoires de la Roumanie, de la Serbie et de la Hongrie, on prépare un gâteau connu sous le nom de krofli aux djoumerki, c’est-à-dire aux lardons.
En se proposant d’étudier l’ensemble du territoire linguistique bulgare, les chercheurs se sont rendus aussi dans les zones périphériques à l’ouest qui appartenaient à l’Etat avant la Première guerre mondiale, en Macédoine du Nord, en Albanie, en visitant également les diasporas historiques des Bulgares de Banat et de Bessarabie. Partout où ils allaient on leur parlait dans un « dialecte bulgare mélodieux » archaïsant, qui présentait des propriétés phonétiques distinctives.
« Je crains que toutes les rumeurs sur la mort précoce des dialectes ne soient bel et bien exagérées. Qui plus est, les jeunes Bulgares maîtrisent bien les traditions culinaires qu’ils ont apprises de leur grands-parents – a affirmé Mme Kotchéva. « Nous avons pu constater que dans les Rhodopes tout le monde était capable de préparer un plat typique de cette région. Ainsi, à Smilian, un jeune homme parlant dans un pur dialecte des Rhodopes nous a cuisiné des haricots de Smilian qui n’avaient rien à voir avec ceux des commerces et des marchés. C’est l’exemple qui me vient à l’esprit, néanmoins presque partout les filles et les brus et même les jeunes hommes préservent ce patrimoine culinaire et linguistique. Fort heureusement, car ce sont là les fondements de la Bulgarie. »
Récemment la carte culinaire a été présentée à l’Institut Bulgare à Berlin suscitant un très grand intérêt. Si la situation pandémique le permet, elle sera aussi présentée à d’autres communautés à l’étranger, y compris des établissements de slavistique et des universités. Et puis, au printemps, les chercheurs de l’Institut de langue bulgare entreprendront une nouvelle expédition, cette fois-ci vers le Nord-Est de la Bulgarie, le long du Danube et dans les zones périphériques à l’ouest.
« Je suis fière du fait que nous ayons déjà couvert la grande partie du territoire », a indiqué Mme Kotchéva.
Edition : Diana Tsankova
Version française : Maria Stoéva
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